Je suis en
permanence tiraillée entre des extrêmes et ce passage de Paris à HK en est une
prevue concrète. Lassée d'une atmosphère morose, de crise, d'une société
insatisfaite, sans perspectives professionnelles, de jeunesse plaintive et sans
horizon, j'ai fait le pas de venir en Asie.
Ici tout va
vite, si l'Europe est le continent de la réflexion éternelle avant un passage a
l'action qui bien souvent n'arrive pas, HK est la ville de l'exécution, la
plupart du temps sans réflexion préalable... Certes, les chinois vont nous
bouffer, ils ne font qu'agir, qu'exécuter: 16h par jour au travail, 8h pour
tout le reste (dont dormir…). Bien loin des 40 jours de vacances par an de la
France… mais quand une masse de gens se met à agir sans réfléchir lerésultat
peut être dangeureux.
En réalité, il ne se
passe pas une seule journée sans que je ne pense à Paris. Neuf mois dans cette
ville (ce texte a été écrit fin mai 2013), une vraie gestation, et qu'est ce
que j'accouche? Le souvenir de Paris, Paris me sort par mes entrailles, par les
pores de ma peau. Ce Paris décadent, cette Europe en crise, ce cynisme et cette
ironie dont on ne peut faire preuve que dans le vieux continent, cet
intellectualisme parfois de trop, cette antipathie environnante à chaque angle
de rue, ce ciel gris écrasant 10 mois par an et ce froid même au mois de juin…
mais cette beauté, cette beauté unique et cruelle de l'amant qui est est un
salaud mais aux bras duquel on ne rêve que de revenir….
Ici c'est
le travail qui prime avant tout avec une énorme fierté des gens locaux de
pouvoir dire: "Hong konguese people work veLLy hard. Europe must be boring
because people don't work so hard…".
Quand on
voit les conditions de vie des gens, la décrépitude des immeubles et des
habitations , on comprend mieux pourquoi ils préfèrent rester au bureau plutôt
que de faire autre chose. Puis la ville elle-même: il n’y a pas de vrais
trottoirs, pas de terrasses ou de cafés où on puisse se poser pour prendre un
verre. Ici c'est la dictature du shopping mall et de l'air conditionné.
Boutique de luxe sur boutique de luxe (malgré la vie "boring" des
européens, il faut quand même reconnaitre qu'ils ont apporté à ces gens leurs
grands symboles religieux : les logos "LV", "Chanel" ou
"Gucci"…sans lesquels ils seraient perdus…). On fini par vomir le
luxe… puis cette climatisation à 13 degrés partout, cette lutte permanente pour
maintenir sa température corporelle à 37 degrés.
Parlons
aussi de la densité de la population: un fourmillement de gens partout, ces gens
petits, qui zigzaguent les minuscules trottoirs, qui nous empêchent de marcher
droit et vite, qui crachent mais qui en même temps portent le masque.
L’obsession pour désinfecter les balustrades toutes les 2h cohabite avec une
hygiene de vie des plus sales que j’ai pu voir. Ces métros pleins à craquer
(d'ailleurs une des curiosités de HK c'est que le métro est plus plein un
dimanche à midi qu'un lundi à 8h du matin…). Les portes s'ouvrent et on sent
une vapeur chaude qui nous frappe le visage. Cette vapeur chaude a une odeur de
soja (oui, les chinois ont une odeur: c'est comme du soja concentré en peau
humaine. Et apparemment selon les chinois les blancs sentent le fromage et le
vomi de bébé… je ne sais pas ce qui est mieux…) et cette vapeur vous apporte la
peste. Oui: la peste! Pleins de microbes et de bactéries que votre corps
d'Européen n'a jamais soupçonné de devoir affronter. Ici c'est le pays par
excellence où les humains choppent les virus des animaux… Or quel rapport
intime faut-il avoir avec une poule, pour qu'elle nous file une grippe? Je me
demande… Par conséquent j'ai vécu la plus dure expérience physiques de ma vie:
la grippe porcine m'est tombée dessus. Me croyant victime d'une simple gastro,
j'ai passé une nuit a presque 40 degrés de fièvre en sentant comment mon corps
se transformait: une toux profonde et douloureuse, des douleurs corporelles
terribles et aiguës, les délires de la fièvre, l'impossibilité de me lever pour
faire deux pas… les hallucinations dans ma tête où je revoyais Paris en me
croyant être une tuberculeuse dix-neuviemiste dans son lit de mort. Somme toute
une expérience si proustienne si fin 19eme/ début 20eme que je remercie en ce
sens les asiatiques de m'avoir fait vivre un des moments le plus esthétiques de
mon existence.
En effet
l'état naturel des chinois c'est l'artificiel : ils tombent malades quand il
n'y a pas d'air conditionné, ils peignent le sol en vert pour donner
l'impression d'une pelouse pour camoufler le bitume, ils boivent des boissons
couleur fluo qui sont très "healthy", ils ne s'habillent qu’avec des
matières synthétiques même s'il il y a 100% d'humidité, ils passent des dîners
romantiques sur leur iPhone, ils photographient la bouffe au resto pour pouvoir
la déguster froide, ils rient quand ce n’pas drôle du tout, ils restent
inexpressifs quand il faudrait se rouler par terre, ils détruisent l'ancien et
l'historique pour construire du "toc" moderne, mais prennent leurs
photos de mariage dans des studios sur fond de fausses ruines romaines en honneur
de Jules Cesar…
C'est
également l'endroit avec le plus de règles au monde et le moins d'intervention
humaine possible. Au bureau il ne faut jamais arriver après 9h15. A la fin du
mois je reçois un rapport via un système avec une liste de tous les gens de
l'entreprise et leurs heures d'arrivée et de sortie respectives puis des
couleurs qui signalent quand est ce que vous êtes arrivé après 9h15. 9h16 c'est
déjà orange… et croyez-moi qu'il faudra que vous vous expliquiez à ce sujet….
Par
ailleurs, pour comprendre/interpréter la météo, il vous faudrait des cours
universitaire: signal 1 quand il pleut normalement, signal 2 quand il pleut
avec un peu de vent, signal 3 avec un vent encore plus fort et ainsi de suite
jusqu'à des signaux hyper chauds de "typhon" où vous ne devez pas
sortir de chez vous. Mais aujourd'hui j'en ai appris un nouveau signal : la
"black rain". Me levant le matin dans une obscurité incroyable, comme
s'il était 2h du matin, pleine nuit dehors, une dense pluie, je m'étais dit que
ce serait peut-être officiellement un des jours les plus déprimants de ma vie.
Je sors en courant, comme toujours, avec mes 9h15 en tête. Comme tous les jours
je passe devant mon concierge qui me dit un bonjour pas très expressif en
cantonais. La pluie était tellement dense, du jamais vu, à 2 mètres de chez
mois j'avais ma robe trempée. J'avais peur des transparences et d'être
indécente mais je ne sais pas ce qui se passe dans ce pays mais je perds le
sens des pudeurs: pas grave si on voit mes fesses, pas grave si on voit mes
seins… rien à faire! Je vois tellement d'horreurs à longueur de journée et
personne n'est choqué…!
Ce qui est
vrai c'est que les rues étaient vides…. Moi qui craignait le métro plein à
craquer en un tel jour de pluie, c'était vide également (et imaginez l'effet
d'être toute mouillée avec les 13 degrés d'air conditionné du métro… une bombe
pour notre santé…!). Je m'assois dans ce métro vide et évidemment qu'un chinois
opte pour venir s'asseoir collé à moi… il avait peut-être froid… et pour se
réchauffer et probablement pour me réchauffer moi aussi: un bon pé bien
dégueulasse du matin! Vive la vie publique et le civisme!
Je sors du
metro, encore quelques douches, j'arrive essoufflée au bureau: V I D E…
Simplement la fille de la réception qui me dit :
• why do you arrive so early
today?
• Comment ça: "why"?
• Today is black rain you should
not leave your home
• Merci pour cette information…
que le concierge chinois qui me voit TOUS les matins n'a pas pensé à me dire….
Le moins de
contact avec les gens, le mieux ils se portent. Les latins sont parfois
intrusifs: pas un trajet en transport en commun dans un pays du sud de l'Europe
sans que vous ne sachiez pas toute la vie de la petite vieille assise à côté de
vous. Parfois pénible, parce qu il faut fuir les gens du regard si vous voulez
un trajet tranquille… mais, au fond de moi (et en superficie aussi ma foi) je
suis latine merde! J'aime qu'on me parle! Qu'on me demande comment je vais, que
mon concierge me dise des remarques superflues du genre: "oh là là cette
pluie terrible… ne me dis pas que tu vas sortir par ce temps…!" Oui oui et
oui, j'ai soif de dialogue, de contact humain, d'échange… Ici vous êtes
transparente. Au bureau j'entends parler chinois toute la journée, quand je
commets l'erreur de déjeuner avec mes collègues chinois, la solitude est plus
profonde puisqu’ils ne parlent qu'en chinois entre eux (malgré leur gentillesse
et leur prévenance à mon égard) et je finis par rester avec mes pensées.
Maintenant je déjeune seule et c'est plus joyeux. Dans les transports, pas un
regard ne croisera le votre, pas un sourire… je me demande d'ailleurs comment
ces gens se reproduisent aussi vite? Le terrain pour la séduction et le flirt
me semble nul de chez nul ici! Je pense que le défi le plus difficile du monde
pour une femme occidentale ça doit être de séduire un chinois. Bien plus
difficile que de séduire George Clooney (en tenant en compte les bruits de
couloirs qui le dissent homo)….Pas un sourire, pas un regard complice (et non
pas seulement à mon égard mais à l'égard les uns des autres… parce que c'est sûre
que je suis à l’opposé de leur ideal féminin… jejjejej). Et pourtant les
chinoises portent parfois de ces mini jupes moulantes où on voit presque les
fesses, avec des talons vertigineux… en Europe ça finirait en viols dans tous
les coins de rue… Pourtant les faits et les chiffres sont là : ils se
reproduisent comme des lapins!
J'aurais peut-être un enfant qui grandira ici : il croira que les rapports entre les
gens sont transparents, il marchera en zig zag dans la rue, il rira de choses
stupides et ne comprendra pas une ironie, il prendra des photos avec son iphone
à table au lieu de manger, il ne rentrera pas dans des jeux de séduction et
pire que tout: il ne contemplera pas le beau dans son quotidien.
L'esthétique
ne nous fait peut-être pas manger, raison pour laquelle nous sommes ici
aujourd'hui, mais elle donne une autre tournure à la vie, parfois tout aussi
importante que la vie elle-même…
En
attendant il faut rire, rire et rire de tout ça!